Militarisation accrue au Sud-Caucase
Alors que le conflit du Haut-Karabakh est à gelé depuis un an, avec une redistribution des territoires très favorable à l’Azerbaïdjan, des acteurs qui sont restés discrets pendant la guerre sont apparus sur le devant de la scène, redonnant une importance géopolitique et militaire majeure au Caucase Sud.
La pression iranienne
La route reliant l’Arménie et l’Azerbaïdjan contient un tronçon contrôlé partiellement par l’Azerbaïdjan, sur l’axe Goris-Kapan. La circulation n’a pas posé de problème particulier jusqu’à cet été, où l’Azerbaïdjan a commencé à bloquer les camions iraniens, et leur imposer une taxe1. Deux conducteurs ont également été arrêtés2. Dans un premier temps, Téhéran a tenté de négocier avec Bakou, puis a répondu de la manière forte en réalisant un exercice militaire de grande ampleur aux frontières avec l’Azerbaïdjan et l’exclave de Nakhitchevan3. Les déclarations du régime iranien ont été particulièrement hostiles à Bakou. Un début de désescalade n’a été visible qu’à la mi-octobre. De son côté, l’Azerbaïdjan a réagi avec un exercice militaire conjoint avec la Turquie dans l’exclave de Nakhitchevan4.
Les griefs de l’Iran vis-à-vis de l’Azerbaïdjan sont nombreux : on en compte cinq. Tout d’abord, un exercice militaire conjoint entre la Turquie et l’Azerbaïdjan en mer Caspienne, allant à l’encontre de la convention de 2018, interdisant aux puissances étrangères de s’implanter dans ce que Téhéran appelle le lac5. Ensuite, Téhéran s’inquiète de la présence supposée de terroristes, notamment de mercenaires syriens utilisés pendant la guerre du Haut-Karabakh6.
De la même manière, l’Iran craint une présence militaire israélienne en Azerbaïdjan. Bakou a nié une telle présence mais une enquête d’un média saoudien semble la confirmer7. La rhétorique azerbaïdjanaise et l’occupation d’une partie du territoire arménien est également une menace pour Téhéran. En particulier, la République Islamique craint de perdre son cordon avec la Russie et de voir une grande ceinture turcophone à sa frontière nord-ouest. Enfin, l’Iran craint une déstabilisation de ses provinces nord-ouest, peuplées en majorité de populations azéries. Pour toutes ces raisons, l’Iran a multiplié les attaques verbales contre Bakou, tout en se rapprochant diplomatiquement de l’Arménie8.
Vers une déstabilisation plus discrète ?
Un fait est à noter : les membres des Gardiens de la Révolution en Iran ont pris massivement position contre Bakou. Leur implication dans le Caucase pourrait marquer une nouvelle phase de la politique iranienne. Téhéran pourrait apporter un soutien logistique à l’Arménie, ou tenter des déstabilisations asymétriques, comme en Syrie ou en Irak, en s’appuyant des milices locales. Il s’agirait de groupes de volontaires arméniens, comme il en existe déjà.
L’Iran pourrait également s’appuyer sur des groupes d’opposition azerbaïdjanais. On peut mentionner la minorité Talysh, persanophone et transfrontalière entre Iran et Azerbaïdjan, qui avait cherché l’autonomie contre Bakou dans les années 90. Ses représentants dénoncent encore aujourd’hui des discriminations de la part du gouvernement9. Des groupes islamistes azerbaïdjanais ont également été la cible du régime d’Aliyev, les accusant d’être des agents iraniens. Si la tension militaire semble effectivement diminuer, l’Iran pourrait apporter un soutien plus discret pour déstabiliser (mais pas renverser) le régime en Azerbaïdjan.
Le conflit indo-pakistanais
Pour des raisons relativement obscures, le Pakistan n’a jamais reconnu l’existence de l’Arménie comme état indépendant. C’est le seul Etat au monde à suivre cette politique. Islamabad se démarque ainsi avec un fort soutien à l’Azerbaïdjan, qui s’est vu diplomatiquement pendant la guerre. Certaines rumeurs parlaient également de combattants pakistanais qui seraient venus se battre aux côtés de l’armée azerbaïdjanaise. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que le Pakistan a participé à des exercices militaires avec l’Azerbaïdjan et la Turquie10.
L’Inde de son côté a réagi à sa façon. Le 13 octobre, le Ministre indien des Affaires étrangères Subrahmanyam Jaishankar s’est rendu en Arménie, pour discuter coopération entre les deux Etats ainsi qu’avec l’Iran11. New Delhi cherche à créer sa route commerciale, concurrente de la Chine. Le North-South Transport Corridor doit relier l’Inde à l’Iran par le port de Chabahar, puis au Caucase et à la Russie. La route reliant l’Iran à la Russie peut ainsi passer indifféremment par l’Azerbaïdjan ou l’Arménie12. Dans ce contexte, la route arménienne semble privilégiée. S’il est trop tôt pour parler d’axes, Ankara-Bakou-Islamabad opposé à Yerevan-Teheran-New Delhi, on voit une recomposition des alliances diplomatiques et militaires.
1 Heydar ISAYEV, Ani MEJLUMYAN, “Azerbaijan starts charging Iranian trucks supplying Armenia”, Eurasianet, 14 Septembre 2021
2 Heydar ISAYEV, “Azerbaijan-Iran relations strained over truck driver arrests”, Eurasianet, 28 Septembre 2021
3 Maziar MOTAMEDI, “Iran army holds drill near Azerbaijan border amid tensions, Al Jazeera, 1 Octobre 2021
4 “Turkish, Azerbaijani militaries hold more drills in Nakhchivan” Anadolou Agency, 6 Octobre 2021
5 Javid AGHA, “Iran refers to ‘illegality’ of Turkish presence in Caspian Sea military drills”, Intellinews, 13 Septembre 2021
6 “Official: Iran Not to Tolerate Presence of Terrorists in Region”, Fars News, 14 Octobre 2021
7 Robin Fabbro, “Report claims Israeli F 35 fighter jets stationed in Azerbaijan”, OC Media, 7 Octobre 2021
8 “Iranian and Armenian FMs meet in Tehran”, Al Monitor, 5 Octobre 2021
10 “Turkey, Azerbaijan, Pakistan launch joint military drills in Baku”, Daily Sabah, 12 Septembre 2021
11 “Jaishankar meets Armenian counterpart Ararat Mirzoyan, stresses on enhancing connectivity”, The Print, 14 Octobre 2021
12 Yeghia TASHJIAN, “Armenia and India’s Vision of “North-South Corridor”: A Strategy or a “Pipe Dream”?”, The Armenian Weekly, 24 Mars 2021